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Preludio para el año 3001

A travers un processus expérimental, Luc Ewen aborde les possibilités et les limites du langage photographique, créant des paysages étranges, donnant vie à un univers dystopique. Le voyage est unique.

Artiste discret, sinon secret, Luc Ewen ne prétend pas «faire» de la photographie, pas plus qu’il ne se définit comme un photographe.

En fait, c’est en questionnant la photographie – laquelle, selon lui, « est une partie de la réalité mais qui ne l’est pas » -, qu’il met en œuvre, en couches, des processus traversés par l’objet, le paysage et la chimie. Dans son petit laboratoire habité par la transfiguration, Luc Ewen fabrique des images où, au final, « tout est vrai et tout est faux ».


Surtout, c’est sa façon de parler du temps.


Chaque image est une recomposition, un travail d’une extrême précision. Et ce, partant d’un fonds de vieilles photos, toutes liées à une sorte de petite mythologie personnelle, une archive redevable de la nature - Luc y veille comme un collectionneur. Une nature arpentée depuis l’enfance. Et une archive sur laquelle l’artiste intervient, à coups de virages chimiques, « avec de la peinture par-dessus ».


Son goût de la chimie, de l’expérimentation qui fait qu’«il y a quelque chose qui change», il le doit à son grand-père, un ornithologue amateur magicien à ses heures, capable de modifier une couleur avec un bout de soufre allumé. 

Et donc, Luc Ewen d’intervenir sur ses propres photos, qu’alors il fragmente, assemble et superpose pour recomposer digitalement une image qui bouscule les codes et les repères. Une image où «quelque chose d’autre advient», qui est de toute beauté mais d’une beauté terrible. 

Tout l’enjeu de la fabrique Ewen, c’est la métamorphose, qui dit l’oeuvre du temps.

Et le temps Ewen, c’est un temps passé-recouvré. Sitôt réanimé qu’il est fantasmé. Ainsi, en découpant ses photos comme il découpe des parcelles de mémoire, Luc fait naître une autre réalité, celle d’un paysage hybride, à la fois marin et montagneux, un paysage inventé, en transit, surgi d’un autre âge pour devenir une sorte de métaphore d’apocalypse. 


Adepte de la vie simple, écologiste paradoxal – urbain tenté par la campagne, marcheur séduit par la bourlingue à travers les latitudes  -,  Luc l’observateur-arpenteur, à l’affût des toutes les explorations, intègre aussi dans son langage visuel tout un florilège d’objets.


Toute une imbrication insolite, surréaliste, de peaux de poissons, de fleurs fanées, clous rouillés, bois calciné, cendres. Et surtout de morceaux de crânes de renards. Figure récurrente, le renard n’est toutefois pas à lire sous le prisme de l’animal, mais celui d’un vécu, d’un temps intime… universalisé. 


En tout cas, ce sont autant d’objets et de végétaux soumis au changement d’échelle, libérés de toute contrainte, dont la signification profonde se dérobe, à moins de symboliser notre combat avec «les forces supérieures», le combat de l’homme déraciné des temps modernes (selon Kafka).


Du reste, pas âme qui vive dans la création photographique de Luc Ewen, déployée en formats parfois aussi ronds que des planètes, ou des hublots, sinon des lentilles de longues-vues.


Tout contribue à semer le doute dans l’esprit du regardeur.  

Mais tout parle du « mensonge si présent dans notre monde », dit Luc Ewen. La série Preludio para el año 3001, qui utilise des objets de très petite taille, où « ce microcosme est élevé à une dimension monumentale paysagère », incite « le spectateur à se questionner sur l’état d’un monde futur où le paysage ne sera plus qu’un objet de rêve ou d’utopie ».


Marie-Anne Lorgé, 2021

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Traces urbaines

Un photographe, son nom l’indique, écrit avec la lumière. Chez Luc Ewen1J, elle n’est plus que prétexte. Prétexte plutôt, écriture avant l’écriture. Avant celle qui se fait dans l’obscurité. Ou dans l’anonymat. Cela donne une série d’images insolites: 


«Traces urbaines» On peut les admirer jusqu’à la fin du mois de décembre au Centre culturel de la ville de Hasselt (Belgique). Qui dit que nos artistes ne voyagent pas? 


Parce que de voyage il est question dans les «tracés urbaines», un double voyage, de ville en ville, d’écriture en écriture. Luc Ewen part par exemple à Arles, «prend» un photo et en développe le négatif. C’est alors que commence le véritable travail. Le négatif repart dans une autre ville, mettons Cologne, y est collé par terre, sur un rail, dans un escalier ou dans une rue, et attend. 


D’autres traces, par hasard Viennent s’y inscrire les pas des passants, les roues de voitures, des traces de toutes sortes, anonymes, involontaires. Deux hasards se croisent, l’œuvre d’art se fait. Fruit de l’artiste et d’une foule d’inconnu(e)s. La liaison est établie. Il ne reste plus qu’à tirer le positif ... si toutefois le négatif n’a pas disparu entièrement, emporté par le vent, empoché par un curieux, sans trace, ce qui arrive souvent. 


L’idée, elle, n’est cependant pas venue par hasard. C’est plutôt l’aboutissement d’une évolution qui a amené Luc Ewen de la simple prise d’image à la création de l’œuvre.


 Jean Portante, 1990 

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De nymphis, sylphis, pygmaeis et salamandribus

Un conteneur.

La matière: l’industriel en fin de trajectoire, rebut de la société urbaine. Inerte. Survient l’artiste-sorcier. Disparaît dans l’imposant corps de fer. Son dessein? Le voilà qui réapparaît, tenant comme un trésor sa drôle de boîte aux cinq optiques. Elle regorge d’images nourries d’un amalgame de fragments captés sur pellicule.

L’éphémère.

Comme ces traces du passage fugitif d’une créature amphibie. Insaisissables esprits de terre?

Esprits d’eau?

L’artiste alchimiste seul en possède le secret. Lui, bon génie qui a su réveiller à la vie ce qui était voué à la disparition.

Eclot alors, sous les feux du soleil, un cosmos dans une gamme chromatique éblouissante. Emergent des paysages étranges, des visions fascinantes. De genèse? Futuristes? Ou archaïques? Vision apocalyptique de cette créature échouée sur le sable. Et ces fonds marins où gît l’épave d’un vaisseau fantôme.

Enigme.

Tout n’est que passage, éphémère. Fusion, illusion.

Les esprits veillent.

maggie steffen, novembre 2003

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